Amour et compassion sont indissociables

Sa Sainteté le XIIème Drukchen Rinpoché
Conférence publique à Grenoble
le 3 Juillet 1995

Sa Sainteté le Gyalwang Drukchen, est la 12ème incarnation à la tête de la lignée Drukpa Kargyu. Il est considéré comme une émanation de Tchenrezi ( le bouddha de la compassion ) et du roi de Shambala et comme la réincarnation de Naropa et de Gampopa. Il a été reconnu comme incarnation du Gyalwang Drukchen par Sa Sainteté le 14ème Dalaï-Lama et Sa Sainteté le 16ème Karmapa et d'autres maitres.
Il est né à Tso Péma, le lac sacré de Gourou Padmasambhava, près de Réwalsar dans le nord de l'Inde en 1963.
Il eut comme maitre principal feu Kyabjé Touksé Rinpoché, il a reçu toute la transmission de l'école Nyingmapa par Sa Sainteté Dudjom Rinpoché ainsi que de nombreux enseignements de Sa Sainteté le Dalaï-Lama et de nombreux autres maitres prestigieux principalement Kagyupa et Nyingmapa. Il est un authentique représentant du mouvement rimé non sectaire.

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La compassion, c'est la vie. La raison de notre présence en ce monde est précisément la compassion, l'amour, la bonté. Sans compassion, nous n'aurions pas la possibilité de developper cette bonté aimante qui est le sens véritable de notre vie.
Tous les êtres éprouvent le désir du bonheur et cherchent à éviter la peine et la souffrance. Pour cette raison, nous devons partager notre bonheur et meme plus : nous partager nous-memes avec les autres. Sans cette notion de partage, il n'y a ni bonté, ni compassion.
Quelles que soient leurs croyances, tous les êtres, y compris les animaux, meme le plus petit insecte, ont cette aspiration au bonheur. Cette aspiration nous permet d'avoir ce sens du partage de nous-mêmes qui est le fondement de notre amour et de notre bonté.

Il y a deux approches pour mettre en pratique cette idée d'amour, de compassion et de partage :
- La première méthode consiste à identifier nos besoins, nos souhaits, à nous poser la question du bonheur et de la souffrance pour nous-même. Une fois que nous avons compris que nous désirons le bonheur sans souffrance pour nous-même, nous comprenons que tous les autres, quels qu'ils soient, fonctionnent de la meme manière. Ils ont ce meme besoin de bonheur, ils ont ce meme désir d'éviter la souffrance.
- La deuxième méthode pour apprendre à pratiquer la compassion est de penser que toutes choses sont transitoires et impermanentes. Par cette réflexion très aigüe et très puissante, nous comprenons alors que la structure meme de notre vie est l'impermanence. Tout d'abord, il nous faut prendre conscience, de manière détendue, que tout change. Le temps, l'age des personnes, les saisons, nos humeurs, nos pensées, etc... tout change. En meme temps nous prenons conscience que nous sommes toujours en train de courir après quelque chose : après l'argent, les amis, après différentes choses... Cela est vrai pour tous les etres, y compris les animaux, y compris les insectes, tout le monde court après quelque chose, ne serait-ce que le sens du bonheur.
Qu'obtenons-nous de cette course effrénée ? De manière évidente nous pouvons obtenir de l'argent, des amis, ou autre chose, mais en réalité de manière subtile, nous n'obtenons rien du tout. Le temps passe dans cette course qui ne nous mène nulle part, dans cette poursuite stérile, alors que notre monde individuel va bientôt se terminer. A partir de cette reflexion nous développons une certaine compassion, non seulement vis-à-vis des autres, mais une compassion qui s'applique aussi à nous.

Ma propre expérience me fait penser que vous devez apprendre à avoir de la compassion pour vous-même, à vous aimer vous-même. Cela ne signifie pas que vous deviez prendre soin de vous de manière égoïste, ou que vous deviez en arriver à developper un certain orgueil. Si cela se produisait, ce serait le signe d'une incompréhension. Cela signifie que de manière pure et authentique, vous devez avoir une certaine compassion vis-à-vis de votre propre vie et du temps qui passe pour vous. Vous devez prendre conscience du temps qui s'écoule dans votre existence, du temps qu'il vous reste à vivre, du temps que vous avez jusqu'à présent gaspillé. En partant de vous-même, vous aurez une compréhension non intellectuelle, plus claire, plus sensible, plus forte que si vous partiez de l'observation des autres.

De nombreux pratiquants qui comprennent la nécessité de l'amour et la compassion, en tant que point essentiel des enseignements et essaient de les pratiquer, n'y arrivent pas. Pourquoi ? Parce qu'ils ne réussissent pas tout d'abord à s'aimer eux-mêmes. Ils essaient d'aimer et leur amour part sur des chemins de traverse, ou meme s'il part dans la bonne direction, il reste limité. Cet amour et cette compassion restent partiels et ne peuvent jamais leur apporter une pleine satisfaction dans leur pratique de l'amour et de la compassion.
Prenons, par exemple, quelqu'un qui aime une autre personne, ou quelqu'un qui a de l'amour pour nous tous qui sommes ici. Cet amour va rester  limité, il ne pourra jamais devenir aussi vaste que l'espace. Pourquoi? Si l'on suppose que parmi les personnes que nous aimons, quelqu'un a fait quelque chose à notre encontre qui n'est pas très bien, qu'allons nous faire? Nous allons nous mettre en colère, ou bien nous laisserons tomber la personne, ne pouvant l'aimer davantage. C'est parce que nous ne nous aimons pas nous-meme véritablement, n'ayant pas vraiment compris nos propres aspirations. Donc si l'on veut vraiment pratiquer l'amour et la compassion, il est très important d'abord de s'aimer soi-même, d'avoir ce sens du partage qui est fondé sur la compréhension de nos propres besoins.

L'amour d'une manière générale, ordinaire ou non, doit nous inspirer beaucoup de respect, nous devons le comprendre et l'apprécier, avec un sens de profonde gratitude. L'amour est toujours respectable dans tous les cas. Toutefois dans notre amour ordinaire, il y a comme une sorte de défaut technique : un attachement fort et naif à la forme. Ce défaut, nous pouvons le voir assez facilement. Lorsqu'une personne témoigne de l'amour à une autre personne, cet amour va d'abord porter sur la forme, sur ce qui est superficiel : l'apparence, l'activité, la condition sociale etc. Il y a aussi d'autres aspects qui interviennent, mais les trois points-clés sur lesquels nous nous fondons sont l'apparence, l'activité et la position sociale. Ces bases erronées sont notre fondement de notre amour pour les autres.
Malheureusement, c'est la manière de vivre ou de survivre dans ce monde. Nous devons avoir une bonne apparence, une position sociale nous permettant de plaire aux autres, une activité nous permettant d'être reconnus, respecté par les autres. Ceci est fort regrettable ! C'est ainsi que fonctionne le monde. La plupart d'entre nous ne savons pas véritablement aimer d'amour, nous savons simplement aimer ce qui est à la surface.

En raison de l'impermanence, notre apparence actuelle ne peut être maintenue, notre aspect ne sera pas toujours agréable, notre position sociale n'est pas non plus quelque chose qui peut être conservée définitivement. Quand l'apparence change, lorsque par exemple nous vieillissons, l'amour, la compassion, la gentillesse s'en vont aussi... Supposez que vous ayez vu un ami qui vieillisse, son apparence va changer, sans doute sa vue va baisser, sa force physique va décliner alors peut-être votre amour et votre gentillesse pour lui vont aussi s'affaiblir. Dans ce cas, il n'y a vraiment ni amour profond ni bonté profonde, mais un amour limité par les apparences.
Lorsque la situation se détériore, par exemple à cause de la maladie ou de la vieillesse ou lorsque notre notre niveau de vie se dégrade, nous réalisons que tout ce pourquoi on nous aimait ayant disparu, l'amour des autres disparait en meme temps, parce que c'est un amour qui s'adresse à l'image, à la surface, et non à l'être lui-même. Le véritable amour, c'est l'amour qui s'adresse à l'amour, de l'esprit à l'esprit. Quand je dis de l'esprit à l'esprit, je ne parle pas de méditation, comme par exemple ces yogis qui peuvent communiquer simplement entre eux par la pensée, mais simplement d'un amour plein de tendresse qui va véritablement vers l'esprit de la personne.
Malheureusement nous travaillons continuellement à présenter une image de nous meme. Plusieurs fois par jour, nous vérifions devant le miroir si notre image est bonne. Meme si nous n'avons pas beaucoup d'argent, nous simulons un compte en banque bien fourni ; tout ceci pour l'apparence. Pourquoi ? Parce que cette bonne apparence va susciter l'amour des autres. Cela montre bien que notre époque manque considérablement d'amour réel, elle produit un amour fondé sur l'apparence, un type d'amour très limité.

Dons le trait caractéristique de notre époque, ce grand manque d'amour est chose très triste. Bien sur, moi aussi j'aime ce qui est beau. Mais quand je vois l'effort fourni par certaines personnes pour présenter une belle image d'elle-même, je comprends en meme temps que celles-ci ont besoin fondamentalement de quelque chose : elles ont besoin d'être reconnues, d'être aimées.

Il y a cinq ou dix ans, le maquillage était une chose réservée aux femmes. Maintenant on voit de plus en plus que les hommes eux aussi se maquillent. J'ai l'impression que meme eux en ont besoin pour survivre en ce monde, pour susciter l'amitié et l'amour des autres. Cela est vraiment très triste. Peut-être pouvez-vous l'interpreter comme le signe d'une certaine civilisation, et dans un sens ce n'est pas faux, néanmoins c'est très certainement un signe de la faiblesse d'amour dans le monde d'aujourd'hui. C'est quelque chose qui rend triste !

Je voudrais vous demander de pratiquer à partir de ce qui vient d'être dit, pratiquer simplement dans le sens de réfléchir à ce qui a été dit,  de le reprendre dans votre esprit, et c'est cela meme pratiquer dans ce cas. Y réfléchir, voir ce que vous pouvez en tirer pour vous-même est important, et nous pouvons espérer ensemble qu'un jour ce monde sera plein d'amour comme les fleurs qui éclosent à la floraison.

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Source: http://pema.free.fr/